L'Acheteur public de 2030 : data scientist ou obsolète ?

17/12/2025

Ici, nous prenons le temps de penser avant d'agir.

Le blog Axoneo Partner propose des analyses claires, exigeantes et opérationnelles sur la commande publique, l'innovation juridique, l'intelligence artificielle appliquée et l'exécution des politiques publiques.
Chaque article vise un objectif simple : éclairer la décision, sans jargon inutile, sans dogme, sans effet de mode.

L'Acheteur public de 2030 : data scientist ou obsolète ?

L'Acheteur public de 2030 : data scientist ou obsolète ?

À l'heure où l'intelligence artificielle révolutionne les processus d'entreprise et où la data devient le nouvel or noir, une question légitime se pose : quel sera le visage de l'acheteur public en 2030 ? Entre transformation numérique accélérée et résistance au changement, le métier est à la croisée des chemins.

L'acheteur public face au tsunami numérique

Les chiffres parlent d'eux-mêmes : la commande publique en France représente plus de 100 milliards d'euros annuels. Un volume colossal qui génère des données massives, encore largement sous-exploitées. Pendant que le secteur privé optimise ses achats grâce au machine learning et aux algorithmes prédictifs, la sphère publique peine à franchir le cap de la dématérialisation complète.

La réalité du terrain reste contrastée. D'un côté, des plateformes comme le PLACE (Portail de La commande publiquE) modernisent progressivement les procédures. De l'autre, de nombreux acheteurs publics continuent de jongler entre tableaux Excel, processus manuels et méconnaissance des outils analytiques disponibles.

Les compétences de demain : bien plus qu'un simple changement d'outils

L'acheteur public de 2030 ne sera pas qu'un utilisateur passif de logiciels sophistiqués. Son profil intégrera trois dimensions essentielles :

La maîtrise de la donnée comme socle fondamental. Comprendre les bases de la data science ne signifie pas devenir statisticien, mais acquérir la capacité d'interpréter des tableaux de bord, d'identifier des anomalies dans les dépenses, et d'exploiter les analyses prédictives pour anticiper les besoins. L'acheteur devra savoir poser les bonnes questions aux données avant de les poser aux fournisseurs.

L'intelligence stratégique amplifiée par la technologie. Les algorithmes pourront détecter automatiquement les risques de collusion, identifier les opportunités de mutualisation entre collectivités, ou suggérer les meilleurs moments pour lancer des consultations. Mais l'acheteur restera indispensable pour valider ces recommandations, négocier avec finesse et prendre en compte le contexte politique et territorial que nulle machine ne peut appréhender.

L'expertise juridique augmentée. Les évolutions réglementaires européennes sur la commande publique, les enjeux de souveraineté numérique et les critères environnementaux exigeront une veille juridique constante. L'IA pourra assister dans le suivi réglementaire, mais l'interprétation et l'application resteront humaines.

Les scénarios d'évolution du métier

Scénario 1 : L'obsolescence programmée ? Dans ce scénario pessimiste, l'acheteur public qui refuse de se former aux nouveaux outils devient progressivement marginalisé. Les collectivités qui n'investissent pas dans la montée en compétences de leurs équipes se retrouvent dépassées, incapables d'optimiser leurs dépenses face à des contraintes budgétaires croissantes.

Scénario 2 : La transformation réussie. L'acheteur devient un orchestrateur stratégique, libéré des tâches administratives chronophages grâce à l'automatisation. Il consacre son temps à l'analyse fine des marchés, à l'innovation dans les clauses sociales et environnementales, et au développement de partenariats avec les entreprises locales. La data science devient son alliée, non sa remplaçante.

Scénario 3 : L'hybridation des profils. Les directions des achats publics se dotent d'équipes mixtes associant acheteurs traditionnels et profils data analysts. Cette complémentarité permet d'exploiter le meilleur des deux mondes : l'expertise métier et relationnelle d'un côté, la puissance analytique de l'autre.

Les défis de la transition

La route vers 2030 est semée d'embûches. Le premier obstacle reste culturel : dans une fonction publique parfois marquée par l'immobilisme, convaincre de l'urgence de la transformation nécessite un portage politique fort. Les élus doivent comprendre que l'investissement dans la formation et les outils n'est pas une dépense, mais un levier d'économies substantielles.

Le deuxième défi est organisationnel. Nombreuses sont les collectivités de taille modeste qui peinent à recruter ou former des acheteurs compétents. La mutualisation des moyens et des expertises entre territoires devient alors une nécessité absolue.

Enfin, la question éthique se pose : jusqu'où peut-on automatiser des décisions d'achat public sans perdre la dimension d'équité et de transparence qui fonde la commande publique ? Les algorithmes, aussi sophistiqués soient-ils, peuvent reproduire des biais. L'œil critique de l'acheteur reste le garant de l'intérêt général.

Vers une montée en compétences accélérée

Face à ces enjeux, plusieurs leviers d'action s'imposent dès aujourd'hui :

La formation continue doit devenir la norme. Les écoles du service public et les réseaux professionnels comme le RESA (Réseau des Acheteurs Publics) multiplient déjà les modules sur la data et le numérique. Cette dynamique doit s'amplifier et toucher tous les échelons.

Les partenariats public-privé dans le domaine de la formation peuvent accélérer le transfert de compétences. Les grands groupes qui ont déjà digitalisé leurs achats possèdent une expertise précieuse à partager.

L'État doit jouer son rôle d'impulsion en déployant des outils nationaux mutualisés et en accompagnant financièrement les plus petites structures dans leur transformation numérique.

L'acheteur public augmenté plutôt qu'obsolète

Non, l'acheteur public de 2030 ne sera pas obsolète. Mais il sera profondément transformé. Son expertise juridique et sa connaissance des enjeux territoriaux resteront irremplaçables. En revanche, son rapport aux données, aux outils numériques et à l'innovation devra radicalement évoluer.

La question n'est donc pas de savoir si l'acheteur deviendra data scientist, mais plutôt comment il intégrera progressivement cette dimension analytique à son métier traditionnel. L'enjeu est de construire un profil hybride, alliant rigueur juridique, vision stratégique et aisance numérique.

Les acheteurs publics qui sauront anticiper cette mutation, se former et faire évoluer leurs pratiques ne seront pas obsolètes. Ils deviendront au contraire des acteurs clés de la modernisation de l'action publique, capables d'optimiser l'argent des contribuables tout en portant des politiques d'achat responsables et innovantes.

Le compte à rebours a commencé. 2030, c'est demain. La transformation ne se décrète pas, elle se prépare. Dès maintenant.