La domanialité à l'ère de l'IA
La gestion du domaine public à l'ère de l'intelligence artificielle
Quand l'algorithme rencontre le Code général de la propriété des personnes publiques
Introduction
Le 27 décembre 2019, la Cour administrative d'appel de Marseille rendait une décision remarquée dans une affaire relative à la construction d'écoles à Marseille. La juridiction annulait une délibération de la métropole au motif que les algorithmes de valorisation des risques utilisés pour l'évaluation préalable du marché de partenariat n'étaient pas suffisamment expliqués ni transparents. Pour la première fois, le juge administratif censurait l'usage d'un algorithme dans une décision touchant à la gestion du domaine public, non pour son principe, mais pour son opacité.
Cette décision préfigurait un débat juridique plus vaste : celui de la place de l'intelligence artificielle dans la gestion quotidienne du patrimoine public. Car depuis quelques années, les collectivités territoriales et les grands gestionnaires d'infrastructures déploient massivement des solutions numériques pour surveiller, entretenir et optimiser l'usage du domaine public. Des drones inspectent les ponts et les voies ferrées. Des capteurs détectent les fissures avant qu'elles ne deviennent critiques. Des algorithmes réaffectent en temps réel les ressources domaniales selon les besoins mesurés.
Ces outils promettent des gains considérables en efficacité et en sécurité. Mais ils posent au droit administratif des questions inédites. Lorsqu'un algorithme surveille un ouvrage public, qui porte la responsabilité en cas de défaillance ? Quand un système automatisé modifie l'affectation d'un bien domanial, respecte-t-on encore le principe de mutabilité ? Et surtout, cette optimisation algorithmique valorise-t-elle le domaine public au bénéfice de la collectivité, ou au profit d'acteurs privés ?
Le Code général de la propriété des personnes publiques, conçu avant l'ère numérique, offre un cadre juridique qu'il convient aujourd'hui d'interroger à l'aune de ces transformations technologiques.
I. L'intelligence artificielle au service de la gestion domaniale : des pratiques déjà ancrées
A. La maintenance prédictive : l'exemple pionnier de SNCF Réseau
La SNCF constitue sans doute le cas d'usage le plus abouti de l'intelligence artificielle appliquée à la gestion d'un domaine public en France. Dès 2017, l'opérateur ferroviaire a créé Altametris, une filiale entièrement dédiée à l'utilisation de drones et de technologies numériques pour la surveillance et la maintenance de ses 28 000 kilomètres de voies.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Avec une flotte de près de 200 drones, la SNCF inspecte désormais ses infrastructures sans interrompre le trafic ferroviaire. Les drones offrent un gain de temps de 30% dans l'inspection de certaines infrastructures. Un relevé de 500 mètres de linéaire de voie se réalise en trente minutes. L'ensemble d'un ouvrage en terre est inspecté en une demi-journée, contre plusieurs semaines par tournée pédestre auparavant.
Mais l'innovation ne réside pas seulement dans la captation des données. Depuis 2021, Altametris a développé un logiciel d'analyse qui crée un jumeau numérique en 3D des infrastructures ferroviaires. Les gigantesques puits de données qui le constituent sont ensuite interprétés par l'intelligence artificielle afin de faire remonter les défauts et désordres aux équipes d'ingénierie et de maintenance.
Cette approche transforme radicalement la logique de maintenance. Traditionnellement, le gestionnaire domanial intervient soit après la panne (maintenance corrective), soit selon un calendrier fixe (maintenance préventive). L'intelligence artificielle introduit une troisième voie : la maintenance prédictive. L'algorithme analyse en continu l'état des ouvrages et anticipe les défaillances futures. Le gestionnaire peut ainsi intervenir au moment optimal, avant que le désordre ne devienne critique.
RTE, le gestionnaire du réseau électrique haute tension, a également investi ce champ. L'entreprise utilise des drones, dont un dirigeable baptisé "Diridrone", pour inspecter ses lignes électriques. Le vol automatique de drone longue distance représente un enjeu pour demain dans le cadre d'activités de maintenance préventive. Chaque année, RTE parcourt avec 7 hélicoptères l'ensemble du réseau électrique aérien. Les drones automatisés promettent de réduire considérablement les coûts de ces opérations.
B. Les smart cities : Dijon, Lyon et Angers en pointe
Les collectivités territoriales ne sont pas en reste. Plusieurs métropoles françaises ont fait le pari de la ville intelligente, où l'intelligence artificielle optimise la gestion quotidienne du domaine public.
Dijon fait figure de référence européenne. Le projet OnDijon, centre de pilotage centralisé, gère l'éclairage public, la vidéosurveillance, la circulation et le stationnement via 50 000 capteurs répartis sur le territoire métropolitain. L'objectif affiché : 65% d'économie d'énergie d'ici 2030. L'éclairage public s'adapte automatiquement à la présence des usagers. Les feux de signalisation se synchronisent en temps réel pour fluidifier le trafic. Le système détecte les places de stationnement disponibles et guide les automobilistes.
Lyon a investi 340 millions d'euros en dix ans dans sa transformation numérique. La métropole a déployé des smart grids, un éclairage public adaptatif, et des systèmes de gestion prédictive des infrastructures. Elle a également fait le choix de l'open data, mettant à disposition des entrepreneurs les données issues de son domaine public.
Angers a équipé son territoire de 50 000 capteurs et remplacé 30 000 lampadaires par des LED pilotés de manière fine. Le système module l'intensité lumineuse selon les zones et les horaires, générant des économies substantielles.
Ces exemples illustrent une tendance de fond : le domaine public devient une infrastructure numérique productive, capable de générer en continu des données sur son état et son utilisation. Cette évolution n'est pas neutre juridiquement.
C. La surveillance automatisée : entre efficacité et libertés publiques
L'intelligence artificielle permet également une surveillance continue du domaine public. Des systèmes de vidéosurveillance analysent les flux de personnes et identifient automatiquement les comportements anormaux ou dangereux. Des capteurs détectent les intrusions sur des sites sensibles. Des algorithmes analysent les données de circulation pour anticiper les embouteillages.
Cette surveillance automatisée présente des avantages indéniables pour le gestionnaire domanial. Elle fonctionne 24 heures sur 24, sans fatigue. Elle couvre des superficies considérables avec des moyens humains réduits. Elle détecte des anomalies imperceptibles à l'œil nu, comme des variations thermiques révélatrices d'une infiltration d'eau dans un ouvrage.
Pourtant, cette automatisation interroge profondément le régime juridique de la police de la conservation prévu à l'article L. 2211-1 du CG3P. Traditionnellement, cette police s'exerce par des agents habilités qui constatent les infractions et prescrivent les mesures nécessaires. Que devient ce régime lorsque la constatation résulte d'un traitement algorithmique ?
La question se complique encore lorsque ces systèmes captent des données personnelles. Le domaine public est par nature un espace ouvert à tous. La surveillance automatisée des usagers, même justifiée par des impératifs de sécurité, doit respecter le cadre protecteur du règlement général sur la protection des données. L'équilibre entre efficacité de la gestion domaniale et respect des libertés individuelles reste à définir avec précision.
II. Les défis juridiques posés par l'automatisation de la gestion : du principe de transparence à la question de la responsabilité
A. Le principe de transparence des algorithmes : un cadre jurisprudentiel en construction
La décision de la CAA de Marseille du 27 décembre 2019 marque une étape importante dans le contrôle juridictionnel des algorithmes administratifs. En annulant une délibération au motif que les algorithmes de valorisation des risques n'étaient pas suffisamment expliqués, la Cour a posé un principe clair : l'utilisation d'outils numériques dans la gestion du domaine public n'exonère pas l'administration de son obligation de transparence.
Cette jurisprudence s'inscrit dans un mouvement plus large initié par le Conseil d'État. Dans sa décision du 21 avril 2021 relative au système Parcoursup, la haute juridiction a précisé que l'utilisation d'un algorithme dans une décision administrative n'exonère pas l'autorité de son obligation de motivation. Les règles et principales caractéristiques de l'algorithme doivent être communicables. Le traitement algorithmique doit rester sous la maîtrise effective de l'autorité compétente.
Ces principes trouvent leur fondement dans le Code des relations entre le public et l'administration. L'article L. 311-3-1 impose depuis 2020 que toute décision administrative individuelle prise sur le fondement d'un traitement algorithmique mentionne explicitement cette utilisation, à peine de nullité. L'article L. 312-1-3 prévoit la publication des règles définissant les principaux traitements algorithmiques utilisés pour prendre des décisions administratives.
Transposés à la gestion domaniale, ces principes signifient que le gestionnaire ne peut se réfugier derrière l'opacité de ses outils numériques. Les critères qui président aux décisions algorithmiques doivent être connus et justifiés au regard de l'intérêt général. Un système de maintenance prédictive qui hiérarchise automatiquement les interventions selon des critères non divulgués violerait cette exigence de transparence.
La question se pose avec une acuité particulière pour les systèmes d'apprentissage automatique, dont le fonctionnement évolue de manière autonome. Comment garantir la transparence d'un algorithme qui modifie lui-même ses propres règles de décision ? Le droit administratif français, attaché au principe de légalité et à la motivation des décisions, peine à appréhender ces « boîtes noires » algorithmiques.
B. La responsabilité administrative à l'épreuve de l'algorithme
La multiplication des outils automatisés de gestion domaniale pose avec acuité la question de la responsabilité en cas de dommage. Le droit de la responsabilité administrative en matière d'ouvrages publics repose sur des principes bien établis, mais que l'intelligence artificielle vient perturber.
Lorsqu'un usager subit un dommage du fait d'un ouvrage public, le régime applicable est celui du défaut d'entretien normal. Ce régime, favorable à la victime, repose sur une présomption de faute du gestionnaire. Il appartient au maître d'ouvrage d'apporter la preuve de l'entretien normal de l'ouvrage pour s'exonérer de sa responsabilité.
Concrètement, si un automobiliste subit un accident en raison d'une dégradation de la chaussée, la collectivité responsable de la voirie sera présumée fautive. Pour s'exonérer, elle devra démontrer qu'elle a satisfait à ses obligations d'entretien. Le juge examinera au cas par cas les mesures effectivement prises : fréquence des inspections, moyens déployés, réactivité face aux désordres signalés.
L'introduction d'algorithmes de maintenance prédictive complexifie considérablement cette appréciation. Plusieurs scénarios se présentent.
Premier scénario : l'algorithme a correctement détecté l'anomalie mais le gestionnaire n'a pas donné suite. Dans ce cas, la responsabilité du gestionnaire semble évidente. Le système n'est qu'un outil d'aide à la décision ; la décision finale reste humaine. L'article L. 2211-1 du CG3P impose au propriétaire d'exercer la police de la conservation. Le gestionnaire qui néglige les alertes de son système automatisé manque à cette obligation.
Deuxième scénario : l'algorithme n'a pas détecté l'anomalie en raison d'un défaut de conception ou de paramétrage. La situation devient plus complexe. Le gestionnaire peut-il être tenu pour responsable d'un dysfonctionnement technique dont il n'avait pas connaissance ? Doit-on rechercher la responsabilité de l'éditeur du logiciel, sur le terrain de la responsabilité du fait des produits défectueux ?
La jurisprudence actuelle ne tranche pas clairement. Le Conseil d'État a rappelé récemment que la responsabilité du maître de l'ouvrage public est engagée en cas de dommages causés aux usagers par cet ouvrage dès lors que la preuve de l'entretien normal de celui-ci n'est pas apportée. Mais cette jurisprudence a été développée pour des situations où le gestionnaire disposait d'une maîtrise directe de l'entretien.
Lorsqu'un algorithme s'interpose entre le gestionnaire et l'ouvrage, la chaîne de responsabilité se fragmente. Le gestionnaire conserve-t-il la maîtrise effective de l'entretien lorsqu'il s'en remet à un système automatisé ? La réponse à cette question déterminera l'équilibre entre l'innovation technologique et la protection des usagers.
Troisième scénario, le plus délicat : l'algorithme, doté de capacités d'apprentissage automatique, a développé progressivement un biais qui le rend moins performant sur certains types d'anomalies. Qui aurait dû détecter et corriger ce biais ? Le gestionnaire, même s'il ne dispose pas de l'expertise technique nécessaire ? L'éditeur du logiciel, qui pourrait arguer que le système fonctionne conformément à ses spécifications ?
Ces questions appellent vraisemblablement une clarification, soit par le juge administratif, soit par le législateur. En attendant, les gestionnaires domaniaux évoluent dans une zone d'incertitude juridique. Certains multiplient les clauses contractuelles pour reporter la responsabilité sur les fournisseurs de solutions numériques. D'autres maintiennent des systèmes de contrôle humain en doublon, ce qui réduit les gains d'efficacité promis par l'automatisation.
C. Le principe de mutabilité face à l'ajustement algorithmique permanent
Le principe de mutabilité du domaine public, corollaire de son affectation à l'utilité publique, permet à l'administration de modifier unilatéralement l'usage du domaine pour l'adapter aux besoins d'intérêt général. Ce principe garantit que le domaine public reste dynamique, au service des besoins collectifs du moment.
L'optimisation algorithmique pousse ce principe jusqu'à son extrême logique : l'ajustement permanent et automatisé aux conditions d'usage. Un système intelligent réaffecte en temps réel les places de stationnement entre différents usages selon les besoins mesurés. Un réseau d'éclairage public module automatiquement son intensité selon les flux de personnes. Des espaces publics modulaires se reconfigurent selon les événements.
Cette gestion dynamique rompt avec la logique traditionnelle d'une affectation fixe et pérenne. Elle introduit de la fluidité, de l'adaptabilité. Mais elle risque aussi de vider le principe de mutabilité de sa substance politique.
Le principe de mutabilité suppose en effet que les modifications substantielles résultent d'une appréciation renouvelée de l'intérêt général par l'autorité compétente. Cette appréciation est par nature politique : elle arbitre entre des intérêts divergents, elle hiérarchise des priorités, elle fait des choix de société.
Un algorithme, aussi sophistiqué soit-il, ne fait pas de politique. Il optimise selon des critères qu'on lui a fixés. Si ces critères sont purement techniques – fluidité du trafic, économies d'énergie, efficience budgétaire – l'optimisation algorithmique risque de faire disparaître la dimension proprement politique de la gestion domaniale.
Prenons l'exemple d'un système qui réaffecte automatiquement les places de stationnement sur le domaine public. À 8 heures du matin, priorité aux livraisons pour les commerces. À midi, priorité aux visiteurs des restaurants. En soirée, priorité aux résidents. Cette optimisation améliore objectivement l'utilisation de l'espace public. Mais elle présuppose des choix politiques : quelle importance accorder au commerce local par rapport aux résidents ? À l'accessibilité des personnes à mobilité réduite par rapport à la fluidité générale ?
Ces choix doivent-ils être figés une fois pour toutes dans l'algorithme initial ? Ou réévalués périodiquement par l'autorité politique ? Et dans ce dernier cas, à quelle fréquence ? Le principe de mutabilité impose-t-il une décision administrative explicite pour chaque modification substantielle, ou peut-on considérer que la décision initiale de mettre en œuvre un système automatisé couvre l'ensemble des ajustements ultérieurs ?
La jurisprudence n'a pas encore tranché ces questions. Mais elles touchent au cœur du droit administratif : la place respective de l'expertise technique et du choix politique dans la gestion du bien commun.
III. Vers une valorisation patrimoniale augmentée ? Les enjeux économiques et démocratiques
A. Quand l'efficience opérationnelle se traduit en valeur patrimoniale
L'automatisation de la gestion domaniale promet des gains d'efficience considérables. Les chiffres avancés par les collectivités pionnières sont impressionnants : 65% d'économies d'énergie pour Dijon, 30% de gain de temps dans les inspections pour la SNCF, réduction drastique des coûts de maintenance pour RTE.
Ces gains se traduisent directement en valeur pour la collectivité propriétaire. Un pont dont la maintenance est optimisée coûte moins cher à entretenir et dure plus longtemps. Une voirie dont les dégradations sont détectées précocement évite des réfections coûteuses. Un éclairage public intelligent consomme moins d'énergie. Tous ces bénéfices se transforment en économies budgétaires, libérant des ressources pour d'autres investissements.
Mais la valorisation va potentiellement plus loin. Un domaine public équipé de capteurs et géré par des algorithmes génère des données précieuses. Ces données renseignent sur les flux d'usagers, les modes d'utilisation, les dysfonctionnements, les besoins. Elles intéressent non seulement le gestionnaire public, mais aussi les entreprises privées qui occupent ou utilisent le domaine.
Un concessionnaire autoroutier, un opérateur de mobilité, un gestionnaire d'énergie tirent une valeur économique directe de ces données. Ils peuvent affiner leurs modèles d'exploitation, anticiper les besoins, optimiser leurs investissements. La question se pose alors : cette valeur créée par l'instrumentation numérique du domaine bénéficie-t-elle à la collectivité publique propriétaire, ou est-elle captée par les occupants privés ?
B. La question des redevances d'occupation à l'ère numérique
Le droit domanial connaît déjà la question de la valorisation économique du domaine, notamment par les redevances d'occupation. L'article L. 2125-1 du CG3P dispose que toute occupation ou utilisation du domaine public donne lieu au paiement d'une redevance. Cette redevance est généralement calculée en fonction de la surface occupée et de l'avantage tiré de l'occupation.
Comment intégrer dans ce calcul la valeur des données générées par l'équipement numérique du domaine ? Faut-il considérer que l'occupant qui bénéficie de ces données tire un avantage supplémentaire justifiant une redevance majorée ?
Certaines collectivités commencent à explorer cette voie. Elles considèrent que leurs infrastructures ne sont plus seulement des supports physiques, mais des plateformes de services numériques. Un réseau d'éclairage public devient un support pour des capteurs environnementaux, des bornes Wi-Fi, des systèmes de surveillance. Une chaussée équipée de capteurs fournit des données de trafic exploitables par des services de mobilité.
Ces évolutions posent la question de la gouvernance des données issues du domaine public. Qui décide de leur collecte, de leur utilisation, de leur commercialisation éventuelle ? Selon quels critères et quelles procédures ?
Le CG3P ne répond pas directement à ces questions, conçu qu'il a été avant l'ère numérique. Mais ses principes fondamentaux restent pertinents. Le domaine public appartient à la collectivité et doit être géré dans l'intérêt général. Les données qu'il génère en font partie intégrante et devraient obéir aux mêmes principes.
C. Souveraineté numérique et bien commun : un choix démocratique
Cette approche plaide pour une souveraineté domaniale étendue aux données. La collectivité publique conserverait la maîtrise de l'utilisation des données issues de son domaine, même lorsqu'elle en confie la gestion technique à des prestataires privés. Elle pourrait les mettre à disposition selon des règles d'open data, les commercialiser pour financer l'entretien du domaine, ou les réserver à des usages d'intérêt général.
Lyon a fait ce choix en développant une politique d'open data ambitieuse. Les données issues du domaine public métropolitain sont accessibles gratuitement aux entrepreneurs et aux chercheurs. Cette stratégie vise à stimuler l'innovation et à créer un écosystème local de la smart city.
D'autres collectivités privilégient des partenariats public-privé où l'entreprise qui finance l'équipement numérique du domaine tire une rémunération de l'exploitation des données ou des services associés. Ce modèle permet d'accélérer la modernisation sans mobiliser de fonds publics, mais il pose la question du partage de la valeur créée.
Une troisième voie consisterait à créer des mécanismes de redistribution. Les gains d'efficience permis par l'intelligence artificielle pourraient financer des services publics gratuits ou à prix réduit, bénéficiant prioritairement aux publics les plus fragiles. La valorisation du domaine public servirait ainsi directement la cohésion sociale.
Ces choix ne sont pas neutres. Ils engagent une vision de ce que doit être le domaine public au XXIe siècle : un bien commun géré dans l'intérêt général, ou une infrastructure ouverte à des formes de valorisation marchande ?
La réponse à cette question ne peut être purement technique. Elle relève du débat démocratique. L'intelligence artificielle, aussi performante soit-elle, ne doit pas dispenser les responsables publics d'exercer leur pouvoir de décision politique sur l'affectation et la valorisation du patrimoine collectif.
Conclusion
Lorsque la Cour administrative d'appel de Marseille a censuré en 2019 l'utilisation d'algorithmes opaques dans une décision relative au domaine public, elle a ouvert une brèche. Le juge administratif a affirmé que l'innovation technologique ne dispensait pas l'administration de respecter les principes fondamentaux du droit public : transparence, motivation, contrôle juridictionnel.
Cette exigence reste plus que jamais d'actualité. L'intelligence artificielle transforme en profondeur la gestion du domaine public. Elle améliore indéniablement sa performance opérationnelle : maintenance prédictive, surveillance continue, optimisation dynamique des usages. Les exemples de la SNCF, de RTE, de Dijon ou de Lyon le démontrent.
Mais cette performance a un prix juridique et politique. Elle questionne les catégories classiques du droit administratif. La responsabilité du gestionnaire s'étend-elle aux défaillances de ses algorithmes ? La décision administrative peut-elle être entièrement automatisée ? Le principe de mutabilité autorise-t-il l'ajustement algorithmique permanent ?
Ces questions appellent des réponses que le Code général de la propriété des personnes publiques, dans sa rédaction actuelle, ne fourni
